Christophe Roustan Delatour et son Masque de fer
De Cannes à l'île Sainte-Marguerite, ce n'est pas loin, à peine plus d'un quart d'heure. Un quart d'heure de croisière, qui vous donne l'impression de vous retrouver à l'extérieur d'un film époustouflant: la mer d'un bleu d'azur, la nature magnifique, le Fort Royal qui cache des secrets. Le mystère qui attire depuis des siècles : «Qui était le célèbre prisonnier de Louis XIV? » La réponse à cette question se trouve dans le livre Le Masque de fer - Un secret d'état révélé. Nous vous proposons une interview avec son auteur, Christophe Roustan Delatour.
Quels sont les moments de l'histoire qui vous ont tellement impressionné que vous avez décidé de découvrir ce mystère ?
La
réaction des contemporains du Masque de fer m'a beaucoup fait réfléchir. Les
témoins qui l'avaient aperçu, ou qui avaient appris son existence de source
sûre, sont unanimes : ce prisonnier n'était pas un détenu comme les autres. Ses
conditions de détention étaient extraordinaires pour l'époque et laissaient
entrevoir son importance aux yeux du roi de France, Louis XIV. Son secret, quel
qu'il soit, lui valut un emprisonnement à vie, qui dura 34 ans... C'était du
jamais vu. Cinquante ans après la mort du Masque de fer, le grand écrivain
Voltaire (qui connaissait parfaitement son époque et avait fait deux séjours à
la Bastille) écrivit à son sujet : « Je ne connais pas de
fait ni plusextraordinaire, ni mieux
constaté.»
Ensuite, c'est surtout l'ancienne prison d'Etat de l'île Sainte-Marguerite encore visitable aujourd'hui– qui m'a interpellée. Construite « sur mesure » pour le Masque de fer en 1687, c'est un lieu hors normes, unique en son genre… Sans doute la meilleure prison d'Europe à l'époque ! Sa construction a nécessité de grosses dépenses et répond à un système de sécuritésans faille. Pourquoi ? Pour qui ?
Les mystères entourant l'identité du célèbre prisonnier ont fait et feront sans doute encore l'objet de films, de romans et de publications historiques. Mais malgré les milliers de livres déjà publiés sur le sujet, vous avez réussi à trouver des documents inédits. Quels sont ceux que vous considérez comme les plus importants, les plus intéressants ?
Je recommande deux livres en particulier : Le Masque de fer de Maurice Duvivier (1932) et Le Masque de fer, une solution révolutionnaire de Marie-Madeleine Mast (1974). Ils m'ont fortement influencé, même si j'ai souhaité aller beaucoup plus loin dans l'analyse du contexte et des sources. Duvivier fut le premier, je pense, à découvrir la véritable identité du Masque de fer. Quant à Mme Mast, elle a découvert, avant tout le monde, la clé de l'énigme. Une mention spéciale pour le livre de Marcel Pagnol, Le secret du Masque de fer, dont la lecture est savoureuse mais qui se trompe, à mon avis, dans ses conclusions.
Coté cinéma, hélas, on tombe toujours dans le roman : les faits et les personnages historiques sont méconnaissables...
« C'est un des prisonniers les plus célèbres du monde, dont personne ne sait le nom et dont personne n'a vu le front », disait Victor Hugo. Contrairement au grand romancier, nous connaissons maintenant le nom de l'inconnu: Eustache Dauger. Quel genre d'homme était-il, quelles étaient les raisons de son emprisonnement ?
Ce nom est
connu des chercheurs depuis 1890. Grâce aux archives de l'époque, nous pouvons
confirmer qu'il s'agit du vrai nom du Masque de fer. La question est donc de
savoir qui était cet illustre inconnu… car aucun document, hélas, ne permet de
connaître avec certitude son passé et son identité. Que faisait-il avant d'être
arrêté en août 1669 ? Pourquoi Louis XIV l'a-t-il condamné à l'oubli ? La
troisième partie de mon livre tente de lever le voile sur ce mystère et propose
une solution complète, fondée sur l'étude rigoureuse des sources.
Une question un peu romantique (presque comme une histoire de film) : Est-ce que quelqu'un aurait pu avoir une chance de s'échapper d'une telle prison? Comment la cellule était-elle équipée et sécurisée?
La prison d'Etat de Sainte-Marguerite occupe une place importante dans mon livre. C'est presque un personnage à part entière. Elle a fonctionné pendant 230 ans, jusqu'en 1918, et aucun prisonnier ne s'en est jamais échappé ! Du temps du Masque de fer, les dispositifs de sécurité mis en place étaient inédits. Construite directement sur le rocher, sa cellule avait des murs de 140 cm d'épaisseur et une voûte inatteignable : il était impossible de creuser un trou ou un tunnel pour s'évader. Elle était munie d'un système de sas, constitué de trois portes inviolables. La grande fenêtre, donnant sur la mer et le littoral, était sécurisée par trois grilles en fer massif, dont les barreaux respectifs étaient alternés, afin d'empêcher toute communication avec l'extérieur. Surveillée jour et nuit, fouillée quotidiennement… tout ce qui rentrait et sortait de la cellule était minutieusement contrôlé.
Enfin, la surveillance était implacable. Une compagnie entière de mousquetaires assurait la sécurité de cette prison insulaire – l'Alcatraz de l'époque –, sans compter la garnison du fort. Mais la cellule du Masque de fer était aussi très confortable… Spacieuse, bien ventilée, elle disposait d'une grande cheminée et d'une latrine privée. Le Masque de fer dormait dans un lit et disposait d'autres meubles. Une petite chapelle, construite dans le couloir de la prison, tout près de sa cellule, lui permettait même d'entendre la messe...
Vos enquêtes sur cette célèbre affaire ont donné des résultats très intéressants - par exemple, des informations sur les liens entre le prisonnier et le roi Louis XIV. Quels sont les faits qui vous ont convaincu ?
Les archives officielles du royaume démontrent que Louis XIV a donné des ordres très inhabituels pour la garde du Masque de fer. L'intention du roi était de faire disparaître la trace de son prisonnier tout en le maintenant en vie, et dans d'excellentes conditions. Or, selon moi, il est évident que le roi connaissait très bien « Eustache Dauger ». Les précautions dont il faisait l'objet, son transfert d'une prison à l'autre, le dévouement de son geôlier attitré, les frais colossaux engagés par le roi pendant 34 ans… sans parler de la menace permanente de mort, qui planait sur le Masque de fer s'il révélait son identité ! Tout ceci m'incite à croire, documents à l'appui, que le secret de Dauger menaçait personnellement le roi et sa couronne.
Quel a été le moment le plus surprenant de la recherche ?
Il y en a eu plusieurs ! Le livre contient plus de 45 révélations, grandes et petites, qui sont des éléments nouveaux à verser au dossier. Parmi celles-ci, il y a l'affaire « Matthioli », ce prisonnier italien dont le roi s'est servi pour brouiller les pistes… et qui devint malgré lui un leurre, une sorte de « double »du Masque de fer. J'ai pu découvrir comment cette supercherie complexe avait été organisée.
Mais je citerais aussi les révélations autour du geôlier (M. de Saint-Mars), les indices cachés laissés par Voltaire ou encore la connexion avec le « masque de Langres », un objet exceptionnel qui fut peut-être porté par Dauger…
Qu'avez-vous retiré (et pris) du temps que vous avez passé à rechercher des sources historiques ? Quelles expériences la préparation du livre vous a-t-elle apportées ?
En cours d'écriture, j'ai découvert et exploré plusieurs pistes dont je n'avais pas encore connaissance. Car c'est en écrivant que l'on se pose les questions les plus pertinentes ! On est obligé d'être précis et de ne laisser, si possible, aucun point en suspend... Les bonnes questions apparaissent donc au fur et à mesure. Ce processus-là est passionnant. On plonge dans une histoire complexe, que l'écriture permet d'explorer en profondeur. C'est une sorte de dialogue très dynamique avec le sujet dont on traite, et avec les personnages que l'on tente de comprendre.
Quels autres secrets cache l'île Sainte-Marguerite? Plus précisément, que peuvent découvrir et vivre les visiteurs sur ce charmant bout de terre de Méditerranée ?
L'île est un territoire préservé, qui recèle une forêt de littoral au caractère exceptionnel et un très riche patrimoine historique. Les premières traces d'occupation humaine remontent au 3e siècle avant notre ère. A la période moderne, elle fut une île militaire et une prison politique… autant dire qu'elle cache encore de nombreux secrets !
Au gré des chemins, le promeneur peut découvrir plusieurs trésors et
lieux de mémoire, liés à l'histoire de l'île, de Cannes et de la
Méditerranée : une allée d'eucalyptus majestueux (peut-être les plus
anciens d'Europe ?) ; un cimetière musulman datant du 19e
siècle ; un étang transformé en réserve pour les oiseaux migrateurs ;
deux fours qui servaient à chauffer les boulets de canon, construits en 1796
sur ordre du général Napoléon Bonaparte ; plusieurs « bunkers »
allemands, érigés par la Wehrmacht pendant l'occupation ; les sculptures
monumentales de l'Ecomusée sous-marin de Cannes, immergées au sud de l'île par
l'artiste Jason deCaires Taylor, dans une zone de baignade protégée...
Cannes est sans doute un pôle d'attraction très fort pour les visiteurs, voir par exemple la récente récompense de « meilleure destination au monde pour les Festivals et Événements » aux World Travel Awards 2023. Que représente Cannes pour vous personnellement ?
Cannes est une ville méditerranéenne à taille humaine, ouverte sur le monde et nichée dans un écrin naturel d'une beauté inspirante : la baie, les îles de Lérins, l'amphithéâtre des montagnes alentours. J'apprécie autant son vieux village provençal, Le Suquet, avec son château médiéval devenu musée municipal, que la Croisette et ses palaces. Les ports de Cannes nous rappellent la vocation primitive de ce lieu, tourné vers la mer. L'abbaye de Lérins, avec ses seize siècles d'histoire, est garante du lien spirituel avec le passé. Le Palais des Festivals et des Congrès, qui accueille le prestigieux Festival de Cannes et d'innombrables évènements tout au long de l'année, incarne l'excellence du savoir-faire cannois en matière de tourisme. Ajoutez à cela la richesse culturelle de la région, la diversité des activités possibles, la douceur du climat… Tout ceci contribue à une qualité de vie dont je n'ai pas trouvé l'équivalent ailleurs !
- Né à Boulogne-Billancourt en 1971, vit et travaille à Cannes
- Historien de l'art et ancien élève de l'École du Louvre
- Directeur adjoint et responsable scientifique aux musées de Cannes
- Commissaire de la première exposition d'envergure consacrée à l'Homme au Masque de fer (2019)
- Le livre Le Masque de fer, un secret d'État révélé (Editions Favre,2023)
Préparé par: Stanislava Bezdeckova
Photo: archives : © Mairie de Cannes et auteur
Vous pouvez également lire l'interview en tchèque: Christophe Roustan Delatour a jeho Železná maska