Stéphane Benoist et ses ascensions d'étoiles
Non loin de Nice (environ une heure et demie en voiture) se trouve le Parc national du Mercantour. Sur les contreforts sud des Alpes, dans un paysage connu pour sa diversité, vous pouvez profiter de la belle nature, pratiquer la randonnée pédestre, faire du ski, ou faire de l'escalade. Et peut-être même y croiserez-vous la légende de l'alpinisme international : Stéphane Benoist, qui a escaladé la face sud de l'Annapurna dans l'Himalaya népalais il y a neuf ans, est guide de haute montagne dans le Mercantour...
Faisons un petit voyage dans l'histoire assez récente. Il est clair pour moi que vous avez répondu à ces questions maintes et maintes fois, mais je voudrais quand même vous demander : pourquoi avez-vous choisi l'Annapurna pour conquérir ? Qu'est-ce qui vous a tant attiré ?
En préambule je tiens à vous remercier pour l'intérêt que vous portez à mon parcours. La performance en alpinisme est quelque chose d'abstrait, ce n'est pas toujours simple à valoriser. Avec Yannick Graziani nous n'avons pas seulement choisi l'Annapurna mais surtout sa face sud. Pour ma part c'est son histoire, et ses difficultés qui m'ont fait me porter sur cette paroi. L'esthétique du Sancturaire des Annapurna, la qualité de l'ecalade que nous imaginions trouver, sont aussi des paramètres prépondérants qui ont joué. Yannick avait déjà beaucoup d'expérience en très haute altitude, Makalu, Broad Peak pour citer certains des plus hauts sommets qu'il avait alors atteint. De mon côté c'était le moment ou jamais de passer un dernier cran dans le rapport difficultés techniques et altitude. Sans vouloir jouer sur les mots, plus qu'une recherche de conquête, c'est plutôt une quête de dépassement individuel qui nous anime.
Annapurna, avec ses 8091 mètres le dixième plus haut sommet de la planète... Qu'avez-vous ressenti en réalisant votre rêve, bien qu'avec une fin dramatique ?
L'arrivée au sommet a été un instant de joie mais aussi un soulagement. Après 10 jours en autonomie à 2 dans la paroi, nous avions déjà dépassé ce que nous pouvions donner... La difficulté en alpinisme c'est qu'une fois la performance sportive réalisée, reste plus que jamais à assumer la part d'aventure et de survie qui va avec. Dès que nous avons été tiré d'affaire, cela a été une très grande joie d'avoir réussi, c'est vraiment ce que je voulais au plus profond de moi. Avec quelques amputations qui me diminuent un peu mais ne m'empêchent aucunement de continuer l'escalade et l'alpinisme, je m'en tire plutôt bien!
Est-il même possible de compter le nombre d'expéditions que vous avez faites depuis votre toute première ascension ?
Oui bien sûr il est tout à fait possible de compter le nombre d'expéditions que j'ai faites. Je peux parfaitement les énumérer, elles ont toutes été des expériences formidables. Cela représente une douzaine d'expéditions. Pour des raisons diverses je me suis toujours inscrit dans du qualitatif plutôt que du quantitatif. Par contre j'ai eu la chance d'avoir beaucoup de réussites.
Qu'est-ce qui vous a tant attiré dans l'alpinisme et vous attire toujours - l'aventure, la passion, l'adrénaline... ?
Je ne sais pas exactement. Je dirais, oui certainement pour l'aventure, plutôt non pour l'adrénaline qui n'est pas mon premier moteur et la passion, j'ai l'impression qu'on tombe dedans sans trop savoir pourquoi. A l'adolescence j'étais une page complètement blanche sur laquelle tout était à écrire. C'est certainement propre à cet âge là, mais dans mon cas je crois que c'était particulièrement vrai. Mon enfance s'est construite autour de la liberté, s'engager dans une activité aussi ouverte où il y avait moyen de vivre des expériences aussi fortes avec des copains, c'était très attirant et s'inscrivait finalement dans une continuité. En plus j'étais très impressionné par le vide et visiblement c'était le moment pour moi de m'y confronter. Me dépasser dans ce contexte m'a réellement permis de me construire et devenir ce que je suis. Ce sont tous ces éléments qui m'animent encore.
Quelles qualités sont absolument nécessaires pour l'alpinisme ?
L'alpinisme c'est plutôt lent et abtrait. En premier lieu, je dirais l'envie d'aller voir et donc la curiosité. Ensuite, il faut bien sûr, être ou se mettre en forme, car il faut souvent assumer une randonnée chargée du matériel technique et enchaîner avec l'ascension qui demande toujours des ressources physiques et surtout psychologiques, puis terminer par la descente et le retour. Il faut donc savoir faire preuve d'abnégation, de sens de l'adaptation, de détermination pour être dans l'instant présent et ne pas se laisser dévorer par l'angoisse de tout ce qui nous attend au fur et à mesure de l'ascension. Toutes ces qualités énormément basées sur l'expérience demandent un long temps d'apprentissage.
L'approche de l'escalade a-t-elle changé depuis vos débuts ? Quel est l'intérêt de ce sport chez les jeunes aujourd'hui ?
Oui l'enseignement et la pratique se sont normalisés. L'escalade fait partie de notre quotidien, c'est enseigné au collège, tout le monde a compris que c'est une activité maîtrisable et contrairement à l'alpinisme avec peu d'évènements aléaoires liés au milieu. En mettant les choses dans l'ordre il y a peu de raisons d'avoir un accident. J'ai commencé à la fin des années 80, on était peut-être dans les prémices d'une normalisation mais c'était une activité encore bien marginale. La normalisation a amené la popularisation et l'entraînement ce qui permet un plus grand partage de ce qu'on aime et de tirer le niveau vers le haut.Comme on apprend à marcher puis à faire du vélo et ensuite à nager, saisir les bases de la progression dans l'univers vertical me semble aussi un apprentissage fondamental.
Je voudrais également aborder la question du changement climatique. Le problème touche presque tous les domaines de notre vie - quel effet a-t-il sur l'alpinisme ?
L'alpinisme n'est pas complètement hors du monde et est donc globalement très touché par le réchauffement climatique. D'autant plus que le massif du Mont-Blanc, à mon sens capitale mondiale de l'alpinisme, est un des massifs les plus impacté. De la même manière, comme il faut de la neige, le ski sera de plus en plus sujet aux modifications du climat. Aussi terrible et désespérant que ce soit, de mon point de vue j'essaie de regarder quand même devant. La pratique reste possible, il faut adapter ses objectifs, périodes, lieux, types d'itinéraires. Je me dis que les passionnés trouveront toujours le moyen d'aller vivre des aventures en montagne, ce qui est le fondement de l'alpinisme. D'ailleurs, cet été 2022, la profession n'a paradoxalement jamais autant manqué de guides...
À l'origine, je voulais vous demander quel est votre endroit préféré dans le monde. Mais je serai plus modeste et resterai dans le Parc National. Alors : quel est votre lieu préféré dans le Mercantour, que faut-il voir et vivre ?
D'avance désolé pour la réponse de normand... Toutes nos vallées : Var, Cians, Tinée, Vésubie, Roya donnent sur le Mercantour et elles ont toutes un cachet propre et des endroits merveilleux pour se balader ou y vivre des aventures. Avec ma femme et 2 amis, Jean Capitant et Christophe Sigaud nous avons écrit un livre sur les sommets des Alpes-Maritimes et nous avons pu prendre la mesure de tous ces trésors. Il y a de l'alpinisme dans toutes, la Vésubie concentre le plus d'itinéraires techniques, le haut Var avec les aiguilles de Pelens présente historiquement l'ascension la plus marquante de notre histoire de l'alpinisme avec l'ascension en 1905 de la Grande Aiguille de Pelens par le Chevalier Victor de Cessole et son principal Guide Jean Plent.
J'aime les citations de personnes sages, elles peuvent décrire presque toutes les situations. Par exemple, Antoine de Saint-Exupéry disait : "Tout objectif sans plan n'est qu'un souhait." Quels sont vos projets (et vos souhaits) ?
Ah oui, moi aussi j'aime bien les citations. Pendant de nombreuses années j'ai pu profiter et acquérir de l'expérience en montagne, maintenant mes projets se concentrent surtout sur la transmission, essentiellement au niveau de : ma famille et de nos enfants, des personnes que je guide, de notre bureau des guides : Guides06, et des groupes d'alpinistes dont j'ai la charge à la FFCAM. Le livre de randonnée que j'ai évoqué dans la réponse précédente a aussi été une aventure très prenante pendant 4 ans, il faut un peu de temps pour la digérer... Concrètement, actuellement je suis engagé sur 2 petits projets de films. L'un sur Jean Gounand, un personnage incontournable et formidable de l'alpinisme niçois qui est maintenant assez âgé et un autre sur les amérindiens Kogis. Par ailleurs, depuis maintenant quelques années, un ami conduit un projet de livre sur mon parcours et ses évolutions en le mettant en perspective avec des connaissances plus générales. Toutes ces actions et ces projets continuent de me faire grandir, c'est très enthousiasmant.
Stéphane Benoist
- Né le 28 mars 1971 à Châtenay-Malabry (92), résidant depuis 1976 dans les Alpes-Maritimes.
- Guide de haute montagne spécialiste de la face nord des Grandes Jorasses, Responsable du groupe espoir alpinisme FFCAM des Alpes-Maritimes (depuis 2006), professeur d'alpinisme à l'Ensa (2008 - 2020), Responsable du GEAN FFCAM (depuis 2019).
- Quelques-unes de ses grandes réalisations: des ascensions notables dans les Andes et dans l'Himalaya. Il a été nominé pour les Piolets d'or 2003 pour l'ouverture de "one way ticket" en face nord du Thalay Sagar 6904m (Inde, Himalaya) et en 2008 pour l'ascension avec Patrice Glairon Rappaz, en face sud du Nuptse (Népal, Himalaya). 2013: Annapurna avec Yannick Graziani. L'année suivante, il reçoit une mention spéciale aux Piolets d'or pour son ascension avec Yannick Graziani de la Voie des Français en Face Sud de l'Annapurna (Népal, Himalaya).
- Grandes Jorasses: 1997 : No Siesta avec Yannick Graziani, 2000 : La voie Gousseault avec Patrice Glairon-Rappaz, en hiver comme les premiers ascensionnites, 2007: No Siesta avec Sébastien Ratel, (en libre sauf 5 m)...
Préparé par: Stanislava Bezdeckova
Photo: archives de Stéphane Benoist et Chris Sigaud